Interview d'Ernest Pignon-Ernest / Street Art
Ernest Pignon-Ernest est né à Nice le 8 novembre 1942. Nous l’avons rencontré le 22 septembre dernier à l’occasion du colloque « Street art et poésie » qui se tenait en marge de l’exposition rétrospective de son œuvre, qu’il a scénographiée, au Musée d’art moderne et d’art contemporain (Mamac) de sa ville natale. Avec Gérard Zlotykamien et Daniel Buren, Ernest Pignon-Ernest est considéré comme l’un des précurseurs de l’art urbain en France. Dès le milieu des années 1960, il ressent le désir de faire de la rue son œuvre. Pour ne pas figer ses créations dans l’approche frontale des musées, il préfère les livrer à la multiplicité des murs. Il y colle ses sérigraphies. Son exposition au Mamac de Nice rencontre un vif succès et a cours jusqu’au 8 janvier 2017. Il nous a offert une longue interview publiée dans le #4 de Street Art Magazine et dont voici un extrait...
Début de l'interview: Christian Gerini Que pensez-vous de l’appellation « street art » et de ce que l’on met sous ce vocable ? Vous placez-vous vous-même dans le street art ? Ernest Pignon-Ernest Ça me fait un peu sourire parce qu’il a fallu qu’il y ait un vocable anglais pour qu’on s’intéresse à ce mouvement. Il y a cette propension toujours à vouloir que tout vienne des États-Unis. Je veux dire par là qu’il y a plein d’articles ou d’initiatives liées à l’art urbain qui le font démarrer aux États-Unis. On dit Keith Haring, on dit Jean-Michel Basquiat… Ces gens-là ont commencé à faire des choses dans les rues ou dans le métro de New York dans les années 1980 et très souvent encore on dit que ce mouvement vient des États-Unis. Pour ma part, j’ai réalisé des pochoirs sur les murs en 1966, donc je suis un peu ironique. Après, si on prend littéralement l’expression « street art »… je n’expose pas mes œuvres dans la rue mais je fais plutôt de la rue une œuvre d’art. C’est en ce sens que je me sens un peu différent d’une grande partie de ceux qu’on met sous ce label. Mon matériau essentiel c’est la rue elle-même. La rue, c’est à la fois mon sujet et ma palette. J’essaie d’en saisir tout le potentiel, je fais une approche de la rue en plasticien. J’essaie quand j’interviens de comprendre, d’appréhender, de saisir, de posséder tout le potentiel plastique que porte la rue. J’essaie de comprendre l’espace dans lequel je vais intervenir… Pour saisir comment la lumière vient dessus, j’y vais à différentes heures de la journée. J’observe la texture du mur, sa couleur, comment on va le découvrir, comment on va arriver dessus. Tout ça fait partie de l’œuvre aussi. Donc tout ce qui est d’ordre plastique, tout ce qui se voit, et en même temps, simultanément, l’un nourrissant l’autre, j’essaie de capter tout ce qui ne se voit pas, c’est-à-dire la mémoire du lieu, l’histoire enfouie, son potentiel symbolique. C’est ce qui est au cœur de mon travail, et c’est en possédant tout ça, cette compréhension du lieu dans sa totalité – ce qui se voit, ce qui ne se voit pas – que j’élabore mes images.
Publié le lundi 19 décembre 2016, par Christian Gérini dans la catégorie : Street Art - Lien permanent